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jeudi 26 octobre 2017

Entretien avec John Sweller par Oliver Lovell 9 /Théorie de la charge cognitive : idées fausses et perpectives


Entretien avec John Sweller, suite. Ci-dessous le billet 9.

Billets précédents

5 / La motivation : quel rapport avec la théorie de lacharge cognitive ? 
6 / L'échec productif 
7 /Comment mesure-t-on la charge cognitive ? 
8 /Peut-on enseigner la collaboration ?




9 / Théorie de la charge cognitive : idées fausses et perspectives.

OL: Quelle est selon vous, la plus importante idée fausse sur la charge cognitive, que vous voudriez éradiquer ?

JS: Ce n’est que récemment que l’on a commencé à remarquer l’existence de la théorie de la charge cognitive. Pendant des décennies, j’ai sorti des articles et c’était comme si je les envoyais dans l’espace, ils disparaissaient dans l’éther ! Donc, il n’y avait pas d’idées fausses sur la question. Je crois que la pire idée fausse est que l’on me prête ce conseil : « Ne donnez pas trop de travail aux élèves en une fois. » Ce n’est pas ce que je veux dire. Il est vrai qu’il ne faut pas donner trop de travail, que les élèves ne puissent accomplir. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans la théorie de la charge cognitive. Cette théorie dit que vous pouvez enseigner la même quantité d’informations en réduisant ou en augmentant la charge cognitive ; la question est : comment réduire la charge ? Le but est de la diminuer afin de donner plus d’informations importantes.  La théorie de la charge cognitive ne dit pas : « Enseignez-leur peu de choses. » Elle dit : « Enseignez-leur autant de choses que possible car c’est utile dans toute société industrielle avancée. Mais enseignez de telle sorte qu’ils ne surchargent pas leur mémoire de travail. »

OL: Qu’est-ce qui vous enthousiasme le plus actuellement dans les perspectives de la théorie de la charge cognitive ?

JS: Tout change quand apparaît une nouvelle zone d’étude, et depuis quelques mois, c’est le cas. Je ne peux pas vous indiquer de publication sur le sujet car il n’y a encore rien, mais nous avons des données expérimentales. Nous avons toujours supposé que la capacité de la mémoire de travail était fixe. La seule chose qui change est le contenu de la mémoire à long terme. Si vous avez beaucoup d’informations en mémoire à long terme, faites-les passer en mémoire de travail et alors vous avez une énorme augmentation de la mémoire de travail. Sauf que la mémoire de travail est fixe. Récemment, nous avons découvert ce que nous avons appelé les effets d’épuisement des ressources de la mémoire de travail ; cela signifie que si vous avez utilisé votre mémoire de travail sur un sujet particulier, intensément, pendant un certain temps, alors au bout d’un moment, vous avez sans doute déjà expérimenté cela, votre mémoire de travail devient de plus en plus réduite, puis elle disparaît. Vous avez peut-être besoin de vous reposer. Peut-être même jusqu’au lendemain. De dormir. Cela signifie qu’au repos, votre mémoire de travail revient. Nous collectons des données sur ce phénomène en ce moment. (Depuis cet entretien des résultats de recherche ont été publiés sur le sujet. Voir le résumé de l’article de Greg Ashman ici et l’article original ici).

OL: C’est intéressant. C’est en rapport avec une autre chose que j’ai entendue. Je suis sûr que vous connaissez le débit cognitif ? Et le travail de Sendhill Mullainathan, connaissez-vous ce travail ? Une expérience intéressante a été réalisée(voir l’article ici). Elle porte sur les impacts sur la mémoire de travail quand on est victime de stress financier. Elle a été menée dans le New Jersey. Il y avait deux conditions expérimentales. Dans la première, on disait : « Ok John, imaginez que vous avez eu un accident de voiture et cela va vous coûter $ 1500 en réparations. » Dans la deuxième : « John, imaginez que vous avez eu un accident de voiture et cela va vous coûter $ 150 en réparations. » Après cela, les sujets devaient faire certaines tâches cognitives telles que les matrices progressives de Raven.

JS: Oh, je vois où cela va nous conduire.

OL: Résultat : pour ceux qui n’avaient pas de stress financier ($150) cela n’a fait aucune différence mais pour les autres ($1500) qui étaient en situation de stress financier, cela a fait une grande différence. Donc, pour ces derniers, leur cerveau a décidé de suivre le processus suivant de manière subconsciente : « Oh, comment vais-je faire ? Où vais-je trouver l’argent ? » Et cela a eu un fort impact. L’autre étude de Mullainathan consistait à tester la mémoire de travail, ou performance sur les matrices de Raven, de fermiers dans des pays en voie de développement. Ils étaient testés avant la récolte, alors qu’ils attendaient et n’étaient pas sûrs si la récolte allait être bonne, puis après quand ils avaient reçu l’argent de la récolte. Ils ont constaté de gros impacts là aussi. Il y a dans nos têtes toutes ces choses-là qui atteignent notre débit cognitif (mémoire de travail) et nous n’en avons aucune conscience.

John Sweller: Mais cela ne se passe peut-être pas totalement à notre insu. C’est peut-être même là, devant nous. Il y a deux ou trois ans, j’ai reçu une universitaire du Canada, Kris Fraser, qui venait en séjour sabbatique me rendre visite, elle était médecin et elle s’intéressait aux émotions, elle avait eu des résultats vraiment intéressants. Elle testait des étudiants en médecine, qui s’entraînaient sur des modèles en plastique. Elle avait un groupe de personnes qui devaient apprendre à donner un traitement quelles que soient les conditions, mais durant la pratique, le patient mourait. L’autre groupe apprenait à donner exactement le même traitement, mais le patient survivait et guérissait. Ce qui a été observé, c’est la quantité de choses apprises et il a été observé que ceux dont le patient était mort avaient appris moins de choses.

OL: Oui, parce qu'ils étaient stressés et se demandaient comment ils avaient pu provoquer la mort de la personne.

JS:  Exactement. Donc, comme je disais quand nous parlions de motivation, nous ne devons pas mélanger toutes ces choses. Je pensais, et je pense toujours qu’il en est ainsi. « Bien, peut-être que la motivation et l’émotion sont liées de cette façon ? » Je n’ai toujours pas décidé si ces deux facteurs peuvent être liés.

OL: Cela occupe un élément de la mémoire de travail ou un nombre d’éléments parmi les plus ou moins 7 disponibles.

JS: Exactement. Si vous vous inquiétez à propos de la mort de votre patient, alors vous n’apprenez pas. Si vous vous inquiétez sur la manière dont vous allez vous procurer les $ 1500, vous n’apprendrez pas autant.  

OL: Si vous vous inquiétez sur la façon dont vous allez répondre à l’évaluation décisive pour le choix de votre cursus universitaire, etc…

JS: Dites m’en plus !

OL: Eh bien, merci pour ce moment que vous m’avez consacré aujourd’hui, John.

JS:  Bien, c’était très agréable de discuter avec vous.

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